D’un pays à l’autre, les salariés aidants sont-ils traités de la même manière, surtout lorsqu’ils doivent concilier leur vie professionnelle avec l’aide qu’ils apportent à leur(s) proche(s) au quotidien ? Au-delà de nos frontières, comment sont-ils accompagnés et quels sont leurs droits en la matière ? (1)
C’est un constat : l’aidance est une problématique quasi universelle. Alors que les enjeux et les contextes politiques, sociaux et économiques diffèrent selon les pays, plusieurs caractéristiques communes rapprochent les aidants. Quelle que soit leur patrie d’origine, ils ont cette particularité d’être une population nombreuse mais encore invisible. Par le monde, ces personnes vivent les mêmes préoccupations : isolement social, surmenage, besoin de soutien et de répit, précarité, difficultés à concilier leur rôle d’aidant et leur vie professionnelle…
La question du “prendre soin” constitue un domaine d’intervention des politiques publiques, et c’est bien sûr de la conscience de ces enjeux que dépendent, en grande partie, les mesures mises en œuvre, notamment celles qui leur permettent de gérer leur vie professionnelle et l’accompagnement de leur proche. La dernière décennie a mis en avant leur rôle primordial au sein de la société.
Selon une étude réalisée par l’International Alliance of Carer Organizations (IACO) en juin 2021, la part d’aidants dans la population oscille entre 10 % et 20 % selon les pays. En Europe, 2 personnes sur 10 en moyenne seraient en situation d’aidance. Comme le souligne dans ce même rapport Nadine Henningsen, présidente de l’IACO et directrice de l’association Canadian Home Care : « La crise sanitaire Covid a mis en lumière la contribution essentielle et la diversité des profils des aidants (…). Cette aide n’est pas une question partisane ni un problème unique lié à un pays en particulier, mais bien une préoccupation mondiale. »
Le modèle social-démocrate plus généreux
Cependant, si l’apport des aidants est évident, ils ne sont pas traités de la même manière selon les pays, surtout en matière de conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Les solutions proposées varient d’un État à l’autre. D’après l’étude “Politiques de soutien à l’autonomie des personnes âgées : quelques comparaisons internationales” du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) en mars 2019, il existe quatre approches types clairement identifiées. D’abord, le modèle social-démocrate (Suède, Québec, Danemark…) est jugé comme le plus généreux envers les salariés aidants.
L’État s’y positionne en garant des droits sociaux et propose un panel de services publics et d’aides pour répondre à la perte d’autonomie. En Suède, par exemple, les aidants représentent 15% de la population et 1 salarié sur 3 est considéré comme tel. Les politiques liées à l’emploi ont permis une certaine flexibilité de l’aménagement du temps et des conditions de travail. Les aidants en emploi peuvent par exemple bénéficier d’un congé rémunéré à hauteur de 80 % de leur salaire en cas d’aide à un proche en fin de vie, tout en obtenant un maintien de leurs droits sociaux et une garantie de retour en emploi.
Autre dispositif, même s’il est peu utilisé : la possibilité, pour les salariés, de se mettre en indisponibilité pendant cent jours. Les aidants sont par ailleurs incités à recourir à des consultations médicales pour surveiller leur état de santé.
Moins de soutien dans les pays méditerranéens
Dans le modèle dit “familialiste” tel qu’il existe en Italie ou en Espagne, le manque d’aides publiques et les valeurs traditionnelles font peser une responsabilité plus lourde sur les épaules des aidants. Ces pays laissent aux familles, surtout aux femmes, le soin de s’occuper de leurs proches plus fragiles sans leur apporter une aide probante pour les soulager.
Déjà, en Italie, aucun mot ne vient identifier les aidants. Seuls les professionnels du social et du médico-social utilisent le mot américain “caregiver”, littéralement “soignant”, pour les désigner.
Résultat : 6 personnes sur 10 qui soutiennent un malade chronique ont été contraintes de réduire leurs horaires de travail, plus de 35 % ont dû le quitter, tandis que 2 personnes sur 10 ont demandé une retraite anticipée.
Cependant, la loi de stabilité de 2016 a offert la possibilité, pour les salariés qui ont besoin d’assister un proche âgé ou dépendant, d’utiliser des bons non imposables octroyés par l’employeur pour acheter des services d’assistance fournis directement par lui ou par des structures externes.
C’est ce que l’on appelle le “welfare d’entreprise” : le travailleur peut ainsi transformer la prime de productivité en prestations sociales et bénéficier d’avantages fiscaux. Petit bémol : tous ceux qui ont un emploi indépendant ou précaire – et ils sont nombreux – sont exclus de ces dispositifs.
Un accompagnement “so British”
La troisième approche est dite “libérale” : la prise en charge de la dépendance est assurée par le marché et financée par les familles. Au Royaume Uni, 1 salarié sur 5 est un aidant. Les employés bénéficient d’un droit à un congé rémunéré légalement. Ils peuvent prendre des “congés pour urgence”.
Cependant, les congés plus longs ou planifiés sont sujets à négociation entre les employeurs et les salariés. Les aidants bénéficient d’un système de soutien fondé sur des organisations non gouvernementales très développées qui défendent leurs droits.
En parallèle, elles leur proposent des services de soutien, des formations, un accompagnement et des espaces d’entraide.
Le voisin, l’Irlande, offre aux salariés de cesser leur activité professionnelle pendant deux ans pour accompagner un proche. Enfin, certains pays comme les Pays Bas ont mis en place un système dit “assurantiel”, où la perte d’autonomie est appréhendée comme un risque à anticiper, notamment via les assurances. Et quid de la France ? Elle a inventé un système hybride qui fournit des aides segmentées selon l’âge, la nature et le degré de dépendance et une approche dissociée entre handicap et vieillesse. Un millefeuille institutionnel qui défend son exception jusqu’au bout, même en matière d’aidance.
Le Japon prend des dispositions
Au pays du Soleil-Levant, les dispositions relatives aux congés pour s’acquitter de soins auprès d’un ou plusieurs proches ont une durée maximale de quatre-vingt-treize jours (applicables pour chaque membre d’une même famille, pris de manière continue ou fractionnée). Les proches aidants peuvent également demander, par périodes de trois ans, d’effectuer des jours de travail plus courts ainsi que la dispense d’heures supplémentaires jusqu’à la fin de la prise en charge familiale. Ils ont aussi la possibilité de prendre cinq jours de congé par an, dits de “temps libre pour les aidants”. En outre, conformément à la loi sur l’égalité des chances, les entreprises doivent également soutenir leurs employés en prenant des mesures pour empêcher leurs managers et collègues de créer un environnement de travail qui leur soit hostile.
Congé aidant : la directive européenne
Les États membres de l’Union européenne ont eu jusqu’au 2 août 2022 pour transposer les droits introduits par la directive européenne de 2019 sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, notamment à destination des parents et des aidants. Elle comprend le nouveau congé d’aidant de cinq jours par an et la promotion des modalités favorisant la flexibilité au travail.
(*) article réalisé par Marina AL Rubaee et publié pour le magazine Etre et Handicap n°170.